(Publié en deux parties dans Cahiers Bernard Lazare de Décembre 2004 et Janvier 2005)
Par Odile Suganas
A mon retour de Lituanie, le rédacteur en chef des
Cahiers Bernard Lazare m’a demandé gentiment mais catégoriquement : -
“Ecris-moi un article sur l’antisémitisme”. Il était pressé, moi aussi - J’ai
dit d’accord. Je ne m’y attendais pas du tout. Vaste sujet, lorsque l’on ne vit pas dans le pays et que
de surcroît l’on n’est pas historienne.
Le Larousse définit l’antisémitisme comme une
doctrine ou attitude de ceux qui sont hostiles aux juifs et tendent à faire
prendre contre eux des mesures d’exception. Le Robert, beaucoup plus
laconique, le définit comme un racisme dirigé contre les Juifs. Quelle
que soit la définition, l’antisémitisme est une maladie perverse dont on se
sert à travers les époques troublées, remède universel et pratique, qu’il est
bien difficile de combattre tant la simplicité des concepts énoncés est ancrée dans les esprits et le
restent pour certains. Moyen facile d’évacuer sur une minorité ce qui ne va pas
et dérouler le tapis rouge au déchaînement des pulsions les plus basses,
prétextes à la barbarie. Des lieux
géographiques reflètent les tragédies de l’histoire dont les peuples sont
imprégnés.
***
Que ce soit en France ou à l’étranger, pour
beaucoup de juifs, particulièrement les litvaks, le mot Lituanie est souvent un
objet de répulsion. C’est un pays où ils ne se rendront jamais - combien de fois ne l’ai-je pas entendu- le
pays est imbibé de sang. Puis il y a
ceux qui ne sont pas intéressés par le passé ; pour d’autres encore, c’est un
pan douloureux et pénible de leur vie, où toute leur famille fut annihilée,
maintenant un autre monde, sur lequel ils ne veulent pas se pencher. Par
contre, certains aimeraient s’y rendre mais butent obstinément sur les actes
commis par un grand nombre de lituaniens qui ont massacré en les humiliant,
nombre de leurs voisins, dès le début de l’invasion allemande.
Il ne faut pas
oublier que la Lituanie est le pays où le pourcentage de Juifs tués est le plus
élevé, par rapport à sa population. De plus, une “grande indulgence” a été
démontrée dans le jugement de ses criminels de guerre lesquels, pour la
plupart, sont morts dans leur lit. Aleksandras Lileikis par exemple n’a jamais
pu être jugé - pour cause de maladie
- il est mort, lui aussi, dans son lit.
Ses amis lui ont réservé une belle cérémonie et il a été enterré comme une
victime. Beaucoup de ces criminels ont été réhabilités et ont pu bénéficier
d’une pension ; pour exemple Aloyzas Juodis, servit dans le 12ème bataillon
et fut réhabilité le 12 décembre 1990, Ignace Asadauskas, chef adjoint de la
police de Varèna a été réhabilité le 8 novembre 1990, Pranas Jučinskas, chef de
la police de la région de Degutai a été réhabilité le 19 février 1991,
ainsi que beaucoup d’autres.
Pour
mémoire, souvenons-nous que, suite à la défaite allemande, la Lituanie a été
libérée en juillet 44 puis ré-annexée par les Soviétiques en octobre 44. En février 1991, la Lituanie recouvrait son indépendance.
***
Il y a onze ans, en octobre 1993, une conférence
internationale s’est tenue à Vilnius pour commémorer le cinquantenaire de la
liquidation du ghetto de Vilna le 23 septembre 1943, “Les Jours de la
Mémoire”. C’était la première fois, depuis la fin de la seconde guerre
mondiale, qu’une manifestation de cette ampleur, concernant les Juifs, se
déroulait en Lituanie. Je me souviens avoir été frappée par le fait qu’aucune
affiche n’annonçait l’événement, pas même une à
l’extérieur du bâtiment où elle se tenait. A part les organisateurs, les
participants, des partisans et des déportés survivants, ajoutés aux happy
few invités, je m’étais dit que cet événement était vraiment très
confidentiel. Un excès de modestie ; non, de la prudence, le sujet était
délicat, même si les responsables, côté Vilnius étaient rompus à cet exercice.
Deux thèmes avaient été principalement abordés : six siècles de présence
juive et la responsabilité des lituaniens dans le génocide.
Certaines
interventions avaient été houleuses, particulièrement celle d’Efraïm Zuroff,
portant sur La mémoire du meurtre et le meurtre de la Mémoire, lorsqu’il
avait minutieusement dressé les actions commises par le Front des
Activistes Lituaniens (L.A.F.), le 12ème bataillon de la Police auxiliaire sous
le commandement du Major Antanas Impulevicius, et demandé l’autorisation
d’ouvrir un Centre Simon Wiesenthal à Vilnius, pour enquêter sur les
réhabilitations des criminels de guerre. A ce jour, ce Centre n’a jamais été
ouvert. Des historiens lituaniens avaient violemment nié ces faits. Parmi eux l’historien L.
Truska, avait soutenu que les Lituaniens étaient un peuple de paysans et qu’il
n’y avait jamais eu de pogroms en Lituanie,
accusant tous les juifs d’appartenir au KGB. Il avait été démontré que c’était
faux et qu’une poignée seulement en faisait partie. Depuis, L. Truska a reconnu
avec d’autres collègues que, par méconnaissance des faits et par manque
d’informations, ils s’étaient trompés.
***
Le professeur Dov Levin
dont l’exposé portait sur Quelques faits et problèmes au sujet du combat des
juifs lituaniens contre les Nazis et leurs collaborateurs (1941 - 1945) avait
fait, lui aussi une intervention vigoureuse et avait démonté avec une clarté
remarquable ces affirmations fallacieuses. Les survivants de Vilnius (Vilna) et
de Kaunas (Kovno) avaient tous protesté devant ces fausses allégations. En
1995, l’association des Juifs lituaniens en Israël a publié, un opuscule
de 95 pages intitulé :
Lithuania, Crime and Punishment, entièrement
consacrée à l’attitude de nombreux lituaniens au cours de la Seconde guerre
mondiale.
Tous ces débats ont été filmés par Saulius Beržinis
et Alicija Zukauskaité, assistés pour le script par Philo Bregstein.
Ce film s’intitule “Les Jours de la Mémoire” dans lequel on peut voir que la médaille des Justes est décernée
à un couple de lituaniens.
***
A Vievis, il y a déjà plusieurs années, dans le sthetl
de mon père, j’ai pu entrer sans difficulté dans une des maisons
familiales, qui n’avait pas été remise
en état comme certaines autres ; celle-ci apparaissait dans son état originel.
Sa gonkos
faites de petits losanges lui donnait une allure pleine de charme. Là,
avait habité ma grand-tante Sonia Katz, soeur de ma grand-mère maternelle. La
vieille paysanne m’avait montré un recoin et m’avait dit : C’est ici qu’ils
cachaient leur or. Bel exemple d’archeo-antisémitisme Elle voulait peut-être
m’être agréable, mais elle ne se rendait absolument pas compte de ce qu’elle
disait. Je ne lui en ai pas voulu.
A ma
question : l’antisémitisme est-il différent dans les villes que dans les
campagnes, Dalia Epstein me répond
qu’il n’y a plus de Juifs dans les campagnes et qu’il s’agit de préjugés très
anciens, comme celui de se servir du sang chrétien dans la fabrication des
Matzot. Voici l’anecdote récente qu’elle vient de vivre le mois dernier. Elle
faisait visiter à un groupe d’écoliers la galerie des Justes à Vilnius, en
mettant clairement l’accent sur l’innocence des victimes et l’héroïsme des
sauveurs ; à la fin de son intervention, un gentil garçon de 11 ans lui demanda
: - Pourquoi avoir sauvé ces Juifs, qui étaient des gens très méchants ? -
Pourquoi dis-tu cela lui rétorqua-t-elle ? - C’est parce que les Juifs se
mettent à table avec leurs chapeaux - répondit-il.
L’antisémitisme existe donc sous une forme
inconsciente et se manifeste spontanément par la transmission orale des
familles. A qui la faute ? Pourquoi continue t-on à raconter de telles
sornettes ! Ici, les vieux préjugés sont tout à fait vivants dans l’esprit des
gens. Mais c’est surtout dans le
folklore, avec les proverbes qu’il se manifeste comme par exemple : “Aimons-nous
comme des frères, réglons nos comptes comme des Juifs”.
Pour ce qui
concerne l’enseignement de la Shoah, Dalia Epstein estime que cela bouge
beaucoup. Des concours de composition d’écoliers sont organisés sur le
thème: ”Les voisins Juifs de mes grands-parents et de mes arrières
grands-parents” dans lesquelles de jolies histoires sont racontées: l’amitié
entre les Lituaniens et les Juifs d’avant la guerre. Elle termine alors le
récit de ces quelques expériences sur cette question: si tout était si
merveilleux, pourquoi est-ce devenu si terrible ?
Pour Zibuntas Mikšys, graveur, l’antisémitisme
existe toujours car il y en a toujours eu, mais il n’est pas dangereux. Ceux
qui le sont, n’ont pas de postes importants. Le journal Respublica, bien connu
pour son antisémitisme est composé de jeunes. Il reproduit des dessins et des
illustrations à l’identique de ceux que produisaient sur ce sujet les nazis. Un
numéro spécial de 23 pages y a même été consacré.
Même question à Salomé Yosade, jeune étudiante
lituanienne de 19 ans, qui poursuit des études de droit international à Paris.
Elle me répond : “l’antisémitisme lorsqu’il n’y a pas de Juifs ou si peu de
Juifs en Lituanie, est difficile. Les gens n’ont pas conscience de ce
qu’ils disent, et il est très ardu d’en parler parce que c’est un concept
abstrait ; mais une certaine propagande d’avant-guerre ressort, par exemple
dans l’emploi du terme péjoratif 'jid' - Juif". Elle me parle alors de sa grand-mère, brillant médecin endocrinologue qui, lorsqu’elle essaie de la faire
parler de la guerre a des blancs - elle ne se souvient de rien -. Quant à son
père, artiste peintre, qui vit actuellement en Israël, il lui a dit : “Pour
la première fois de ma vie, je me sens bien quelque part”. Le plus choquant
pour elle est que - pour la plupart
de ses camarades - les Juifs n’ont jamais existé en Lituanie. Les livres
d’histoire sur la deuxième guerre mondiale sont très sommaires.
Tout ce qui
concerne la Lituanie concerne les Justes, la responsabilité des Lituaniens est
pratiquement occultée, sauf une phrase “Certains lituaniens ont participé au
génocide juif” ; toute la responsabilité est rejetée sur les Allemands. En ce
qui concerne le chapitre sur les minorités : les élèves font des
exposés sur les Juifs, mais c’est n’importe quoi et les professeurs ne les
corrigent pas. Un professeur a même affirmé : “que le judaïsme n’existait pas”
! Alors qu’elle protestait, il lui a répondu : “Si tu n’es pas contente, sort”!
Sa jeune sœur a vécu, il y a peu d’années, une aventure pénible au lycée à
Vilnius.
Elle avait une amie chez laquelle elle se rendait souvent. Sa grand-mère
ne savait pas qu’elle était juive et lorsqu’elle l’a appris, elle a interdit à
sa petite-fille de la faire revenir. Toujours le concept selon lequel les mazot
de la Pâque juive sont fabriquées avec du sang chrétien. Salomé pense que
l’antisémitisme est plus fort dans les villes que dans les campagnes. Pour ce
qui concerne l’enseignement de la Shoah dans les écoles, elle ne l’a pas
vraiment vécu. Mais elle sait, par sa sœur de 14 ans, qu’il existe. Des
documentaires de 30 minutes sur différents sujets sont présentés.
Personnellement, elle a assisté à la projection de l’un de ces films - quatre
au total - qu’elle a trouvé excellent, réalisé par Saulius Beržinis et présenté
par lui-même. La faculté de pédagogie
offre deux cours sur la société et la morale ; il est obligatoire d’en choisir un. Les cours
de théologie sont donnés par des religieux qui traitent principalement de la
religion catholique. On parle des orthodoxes, des luthériens, des évangélistes,
mais jamais des juifs.
Pour Simon Davidovich, le très actif directeur de
la Fondation Sugihara à Kaunas, l’antisémitisme n’est pas le problème majeur
de la Lituanie. A ce sujet, il y a une controverse difficile entre l’Est et
l’Ouest - il en est de même pour les autres pays baltes - la Lettonie et l’Estonie. Il poursuit : lors de la dernière
campagne électorale d’octobre, l’antisémitisme n’a pas été utilisé, mais il
se souvient qu’une propagande très
primaire fut lancée lorsque Efraïm Zuroff, qui vient régulièrement à Vilnius,
déclara au Seimas combien
les Lituaniens s’étaient mal comportés en tuant et en volant les Juifs. Il en
fut de même pour Reuven Rivlin, Président de la Knesset, qui fit les mêmes
déclarations, lorsqu’il s’y rendit à son tour en 2003.
A ce jour, les
Lituaniens ne sont pas capables de comprendre le niveau de collaboration
et de participation de certains membres de la police et de certaines unités de
l’armée. Mais lorsque aux Etats-Unis un article paraît sur un Lituanien que
l’on extrade, parce qu’il a servit dans les unités nazies, à nouveau les
Lituaniens clament que l’on veut détruire l’image du pays. J’ai beau
expliquer lorsque je fais des interventions sur la Shoah auprès des élèves ou
des étudiants (naturellement, c’est la même chose pour mes collègues), que les
2 millions d’habitants - Polonais, russes et lituaniens, qui vivaient en
Lituanie en 1941 n’étaient pas tous des meurtriers, ils ne me croient pas. Mon
sentiment personnel est qu’il y a beaucoup de gens qui croient plus à la
version de l’Holocauste selon la version de leurs parents, qu’à celle des faits
historiques. Malheureusement, les familles ne racontent pas toute la vérité, ou
bien donnent la version patriotique “Rien de mauvais dans notre nation”.
J’ai rencontré Mme Ina Marčiulionyté,
ambassadrice, déléguée permanente de Lituanie auprès de l’UNESCO. C’est une
femme jeune, à l’écoute. Elle ne connaissait pas le thème de notre rencontre et
a paru étonnée par ma question. Pour elle aussi, l’antisémitisme n’est pas la
préoccupation majeure des lituaniens. Il n’y a presque plus de Juifs en
Lituanie entre 3.000 et 5.000 ; les chiffres varient. Lorsqu’elle a fait ses
études, elle avait des amis juifs avec lesquels elle entretenait d’excellentes
relations et n’a jamais pensé qu’en
Lituanie, il y avait de l’antisémitisme. L’héritage juif fait partie de
notre patrimoine, c’est une richesse. Les jeunes n’y pensent pas et n’y sont
pas confrontés. Ils ont d’autres préoccupations depuis l’indépendance du pays.
Je ne sais pas si vous savez qu’une centaine de rouleaux de la Thora ont été
sauvés par des lituaniens pendant la guerre ; d’ailleurs, l’année dernière, la moitié d’entre eux
ont été offerts à l’Etat d’Israël. Les
autres sont exposés au musée juif de Vilnius de la rue Naugarduko, qui est
aussi un Centre de Tolérance contre le Racisme et l’Antisémitisme. En 2002,
lors de la foire du Livre de Francfort, la Lituanie avait la vedette et la
culture juive y avait une large part, ainsi qu’au musée de la ville.
Lorsque je
lui raconte ce qui est arrivé à Salomé Yosade et à Dalia Epstein, elle semble dépassée par tant de stupidité. C’est
pourtant les parents ou les
grands-parents, qui transmettent cela à leurs enfants et petits-enfants ai-je
dit. Elle n’a rien trouvé à répondre.
***
D’Est en Ouest et du Nord au Sud, j’ai sillonné le
pays, traversé des villages, des bourgs et des grandes villes. De l’extérieur,
la physionomie du pays a énormément changé, lorsque je pense à mon premier
voyage voici douze ans, plus de couleurs, plus de vie. Dans les campagnes par
contre, l’évolution est beaucoup plus lente, mais j’y ai vu et senti un peu
plus de décontraction, disons de mieux vivre. J’ai constaté aussi, que les
jardins des maisons des anciens sthetlech sont flamboyants de couleurs,
comme à Semeliškės par exemple. Beaucoup de touristes de toutes nationalités
dans les villes, mais aucun dans les campagnes.
A la
Fondation Sugihara à Kaunas, comme me l’a dit Simon Davidovich, 30 professeurs
ont été formés à l’enseignement de la Shoah en 2003. La même année, 500 élèves
sont venus visiter les lieux sous l’égide de l’unité pédagogique de
l’Université de Kaunas. De nombreux japonais, 4.000 environ par an viennent
honorer la mémoire de leur compatriote à la Fondation, chiffre assez
impressionnant.
Au IXème
Fort à Kaunas, là où ont été exterminés la plupart des habitants de la ville et
de ses environs, y compris les hommes du convoi 73 parti de Drancy le 15 mai
44, Julija Menjiuniené, directrice a exprimé la nécessité de former des guides,
en particulier pour ce qui concerne “La salle des Français”. Les visiteurs
posent des questions et les guides sont souvent incapables d’y répondre.
A Vilnius, j’ai rencontré une jeune étudiante en
histoire, qui préparait une thèse sur la Shoah à paraître en anglais,
rencontre très intéressante, car c’est sur des sthetlech familiaux bien
connus de moi sur lesquels j’ai pu lui apporter des précisions et répondre à
ses questions.
J’ai pu
aussi m’apercevoir en visitant des lieux comme Švenčionys, qu’au musée de la
ville on commençait à s’intéresser aux Juifs, qu’une vitrine leur était
consacrée et que le cimetière était remarquablement entretenu. Point noir, les
restes d’une svastika sur le monument commémoratif à l’entrée du cimetière, que
l’on a du mal à effacer. A Plunge, il faut mentionner les impressionnantes
sculptures en bois créées par les Lituaniens à la mémoire des Juifs assassinés.
En 2001, à Merkiné, petit village au bord du Niemen au Sud du pays, sur la
place du village, j’avais visité le petit musée où un habitant du village avait
réuni dans une vitrine des photos et des objets se rapportant aux Juifs.
Les librairies de Vilnius ou de Kaunas possèdent
dans leurs rayons une abondante floraison d’ouvrages se rapportant aux Juifs et
à la Shoah.
Des médailles de Justes sont décernées à de
nombreuses personnes, dans bien des cas à titre posthume, ce qui est aussi
l’occasion de parler de la Shoah.
L’école d’Etat lituanienne Shalom Aleichem
de Vilnius, soutenue également par le JOINT et l’Etat d’Israël, accueille 225
enfants, dont un tiers de non juif.
***
En août dernier, avait lieu le Deuxième Congrès
Mondial des Litvaks auquel ont pris part 150
personnes venues de 12 pays, dont deux Français, organisé conjointement
avec l’ambassade d’Israël auprès des pays baltes, l’Institut yiddish de Vilnius
et le musée d’Art de Lituanie. Personne ne pouvait l’ignorer car les colonnes
Morris - qui n’existaient pas lors du Premier Congrès Mondial des Litvaks -
annonçaient l’événement en lituanien et en yiddish -. A cette occasion deux
plaques furent inaugurées à la mémoire de Max Weinreichet
de Moïche Kulbak. Cette
dernière sur l’initiative de Pranas Morkus, professeur émérite de littérature à
l’Université de Vilnius. De multiples concerts de musique classique - extraits
de l’opéra “La Juive” de Halévy - également de jazz et de musique contemporaine
ont été donnés et deux expositions de peintures ont été inaugurées.
***
Le congrès fut marqué par deux expositions de
peinture. La première peinture au musée d’Etat de Vilnius présentait une partie
des œuvres de Raphaël Chwolès, décédé à Paris en 2002, en présence de l’un de
ses fils, Alexandre. Il a rappelé que son père était né à Vilna en 1913, où il
avait entamé une brillante carrière, que la deuxième guerre mondiale avait
malheureusement interrompue. Il en réchappa en fuyant vers Moscou. Les deux
premières salles offraient au regard des tableaux peints dès son retour à
Vilna, documents historiques précieux sur l’état de la ville juive que l’on
aurait pu sauver, en particulier la grande synagogue. Ce qui est frappant dans
l’art pictural de Raphaël Chwolès est la maîtrise de son coup de pinceau, le
calme qui en émane au constat de cet immense chaos, en opposition avec les
sujets peints. Une telle simplicité m’a semblé correspondre à la modestie de
l’homme. Là, réside la grandeur de l’artiste. Il avait 33 ans.
La seconde exposition se tenait dans la nouvelle
galerie de peinture de la communauté juive du 4, rue Pylimo où étaient exposées
les œuvres de Solomon Teteilbaumas que les parisiens ont eu la chance de
découvrir à Paris pour la première fois, en novembre 2001. Sa palette s’est
étonnamment éclaircie depuis trois ans. Sa vision du monde est moins tourmentée,
elle semble plus sereine, sans avoir pour autant abandonner le sens du
mouvement, inhérent à sa personnalité. Il a aujourd’hui 32 ans.
Depuis l’indépendance du pays des témoignages de
la présence juive sous forme de plaques commémoratives ont été posées à Vilnius
comme celles des petit et grand ghettos. On peut admirer aussi la sculpture du
Gaon de Vilna sur l’emplacement de la grande synagogue dans la vieille ville et
les plaques en l’honneur du sculpteur Antokolski et de Jasha Heifetz.
Faut-il le mentionner, en contrebas de l’autoroute
Vilnius-Kaunas - là où j’ai découvert les restes du cimetière juif de Vievis
et une pierre tombale familiale - à côté de la stèle commémorative que j’ai fait ériger il y a
plusieurs années -, un an ou deux après, à 3m environ, une croix avait été
plantée. Lorsque je l’ai découverte, j’ai été choquée et l’ai ressenti comme un
défi.
Je remercie Vytautas Toleikis, directeur de la
Fondation du programme éducatif, qui m’a longuement reçu au Ministère de la
Culture et m’a expliqué avec beaucoup de soin le travail entrepris sur
l’enseignement de la mémoire de la Shoah depuis 2001. Il m’a aussi fait
découvrir l’existence du site “House of Memory”. Il m’a convaincue, par
sa volonté et son enthousiasme qu’il y avait des gens désireux que les
mentalités changent en Lituanie.
Il est vrai que les pays que l’on appelait de
l’Est n’ont pas fait leur devoir de mémoire. Ils commencent à le faire. Il ne
faut pas crier au miracle, mais il faut se réjouir que le pays ait commencé à
bouger. Il ressort de tous ces témoignages, que l’antisémitisme existe d’une
manière larvée et latente. Toutes les personnes que j’ai questionnées ont eu du
mal à en parler. On a commencé à le faire pour les jeunes, mais aucun programme
en direction des adultes pour qu’ils mettent fin à la transmission de
stéréotypes mensongers, stupides et dangereux n’a encore vu le jour.
Toujours
est-il qu’un travail intelligent et novateur est mené. La Lituanie maintenant
fait partie de l’Union Européenne. Il y a vingt ans, ce pays était pratiquement
inconnu de tous. Aujourd’hui, les Lituaniens sont préoccupés par leur avenir,
le passé ne les intéresse pas. Il ne faut pas nier non plus qu’ils ont souffert
des annexions russes, polonaise, soviétique, qui les ont déportés - comme
beaucoup de Juifs lituaniens en juin 40 -, puis par l’occupation allemande
pendant laquelle ils ont déchantés. Il faut les aider à faire leur devoir de
mémoire ; c’est ce qu’a exprimé Jacques Hutzinger, ambassadeur itinérant en
charge de la dimension internationale de la Shoah, des spoliations et du devoir
de mémoire, ancien ambassadeur de France en Israël, lors de la célébration du
cinquantenaire des Cahiers Bernard Lazare le 17 octobre dernier à Paris.
Bataillon
le plus féroce, spécialisé dans la destruction des Juifs, commandé par Antanas
Impulavičius
Actes du colloque, Atminties Dienos - The
Days of Memory. Ed. Baltos Lankos 1995 p. 404, note 26. Version trilingue,
lituanienne, russe, anglaise.
Historien, Holocaust studies from the Institute
of Contemporary Jewry of the Hebrew University, Jérusalem. Premier
directeur en 1978 du Centre Simon Wiesenthal à Los
Angeles
Ib. note
2, pp. 490 à 491
Historien des plus réputés pour ce
qui concerne la IIème guerre mondiale. Il enseigne à l’Université de Jérusalem.
Né à Kaunas
en 1925. De 1941 à 1943, fit partit de la Résistance
anti-nazie dans le ghetto de Kaunas (Kovno). De 1943 à 1944, fait
parti dans le détachement des partisans “Mort aux
occupants”.
Ib. note
2, pp. 271 à 283
Henri Minczeles p. 424 postface à l’édition de 2000 de “Vilna,
Wilno, Vilnius, la Jérusalem de Lituanie”, 1992, ed. La Découverte
Membre
du Comité Français des “Jours de la Mémoire” composé d’Henri Minczelès, Yves
Plasseraud, Odile Suganas
“Holokaustas
Traku apskrityje”, L’holocauste dans la région de
Trakµ par Neringa Latvyté-Gustaitiené
Grammairien
et lexicographe, un des dirigeants du YIVO
Poète né à Smorgon
(Lituanie) 1896-1940
Cf. Mosaïque ou
reconstitution d’une mémoire, d’Odile Suganas, Ed. Graphein 2000