Monday, May 14, 2012

Mes impressions lituaniennes - Diasporiques décembre 2004


Aller en Lituanie …

Pour un Juif, se rendre en Lituanie n’est pas un voyage comme les autres. C’est d’abord une volonté, un désir. C’est tout, sauf du tourisme. Voyage au cœur de la mémoire où l’œil aux aguets regarde, observe tout ce qu’il voit. Tous les Juifs qui se rendent dans les anciens Pays que l’on appelait de l’Est doivent éprouver les mêmes sentiments, certes à des degrés divers. L’écroulement du rideau de fer a donné lieu à la renaissance des pays baltes, en l’occurrence ici, la Lituanie, où vivait une importante communauté juive. Ce pays rayé de la carte en 1944, fondu dans l’Union Soviétique, ses habitants devenant, du jour au lendemain, des citoyens soviétiques.

Depuis 1991, date de son indépendance, la Lituanie est réapparue sur les cartes géographiques et avec cette résurrection, le fantôme d’une communauté juive prestigieuse, devenue le porte-flambeau des 250.000 âmes parties en fumée dans les forêts, les crématoires de Treblinka, d’Auschwitz, Bergen Belsen et beaucoup d’autres. La population juive représentait en 1939 10% de celle du pays. Vilnius avant la seconde guerre mondiale comptait entre 60.000 et 70.000 juifs, avec 10 yeshivot et plus d’une centaine de synagogues. Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’une.

Les quelques milliers de Litvaks qui survécurent furent ceux qui fuirent vers l’Union Soviétique et ceux qui s’engagèrent dans la 16ème Division lituanienne et eurent la chance d’en revenir. Elle représente de nos jours 4.500 personnes, chiffre difficile à établir avec les décès, les émigrations vers Israël, l’Allemagne ou les Etats-Unis. Mais c’est à Vilnius, la capitale qu’ils se trouvent en majorité. A Kaunas, seconde ville du pays, il y en a 427, alors qu’il y a 10 ans, ils étaient 700, les 2/3 sont âgés et le nombre de jeunes s’élève à environ une quarantaine. A Klaipeda vivent aujourd’hui 200 Juifs, Sauliai, 100, Druskininkai, 11, Telsiai, 5, Alytus 4, Marijampole, 5, Varèna, 1. Ceci n’est pas une liste exhaustive, mais donne une idée de ce qui subsiste de la présence juive en Lituanie. La plupart de ces Juifs ne sont pas pratiquants, la guerre et soixante années de communisme “y ont remédié”. Les plus âgés naturellement parlent yiddish. De nombreux  Juifs sont venus du temps de l’Union Soviétique pour un mieux vivre et aussi à des fins d’émigration plus facile. Les fêtes juives sont surtout l’occasion de réunions sociocommunautaires. Voici déjà plusieurs années, des groupes nouveaux religieux sont apparus - à côté de la communauté traditionnelle litvake dans la mouvance du Gaon de Vilna : les Loubavitch à Vilnius, une tendance hassidique à Kaunas ; les uns et les autres espèrent raviver la flamme d’une communauté qui s’amenuise.

L’administration de la communauté juive, avec à sa tête Simonas Alperavičius, est installée dans les anciens locaux du Tarbut, lycée hébreu d’avant-guerre, au 4 de la rue Pylimo. Ceux-ci viennent d’être remis à neuf grâce au Joint et ont été inaugurés en 2003. Les architectes, Leonidas Merkinas et Grigorius Rudnickas ont conjugué le fonctionnel et l’esthétique grâce aux matériaux utilisés : bois clair lumineux, qui donne un style scandinave des plus heureux ; c’est une réussite. Une salle, la Salle Jasha Heifetz, permet la tenue de spectacles. En 1998, Vilnius a vu la création d’un Institut Yiddish où un programme d’été sur la langue et la culture yiddish a été mis en place. Plus tard, l’Institut a été transféré dans les locaux de l’Université de Vilnius. C’est l’unique Institut de toute la région. Des étudiants de tous âges et de tous les pays, Juifs et non-juifs, viennent y suivre un enseignement qui s’adresse aussi bien aux débutants qu’aux plus avancés, dont beaucoup de jeunes. Cette année, 78 étudiants sont venus de 16 pays entre autres des Etats-Unis, du Canada, d’Allemagne de Hollande, d’Israël, de Lettonie… Une ambiance chaleureuse ; des spectacles, des excursions[i] sont organisés. Cette année, comme en 2003, Y. Niborski, maître de conférences à l’INALCO y a donné un enseignement destiné aux étudiants les plus avancés. Un soir au café Baltic, lors d’une soirée conviviale, je rencontre Sigrid, une allemande sympathique, qui parle couramment un bon yiddish; je l’en félicite et lui demande la raison de sa connaissance de cette langue. Elle me répond que, psychiatre de métier, elle avait une patiente, rescapée des camps, qui ne s’exprimait que dans cette langue, elle la comprenait assez bien au travers de l’allemand, mais insuffisamment. Elle a alors décidé de l’apprendre.

Sillonner le pays …                                          

D’Est en Ouest et du Nord au Sud, j’ai sillonné le pays, traversé villages, bourgs et grandes villes. De l’extérieur, la physionomie du pays a énormément changé, lorsque je pense à mon premier voyage ici, voici douze ans - plus de couleurs, plus de vie. Dans les campagnes en revanche, où d’ailleurs l’on ne croise aucun touriste, l’évolution est beaucoup plus lente, mais j’y ai vu et senti, disons du mieux vivre. Les jardins des maisons des anciens sthetlech flamboient de couleurs, comme à Semeliškès.

 Sur les hauteurs de Kaunas, dans un des quartiers résidentiels, une maison élégante où en 1940 Chiune Sugihara[ii], consul du Japon à Kaunas, alors capitale de la Lituanie, délivra plus de deux mille visas de transit à des Juifs fuyant la Pologne tombée sous la coupe des nazis, enfreignant les ordres répétés de Tokyo. Ces visas étaient valables pour une famille, on estime qu’il sauva ainsi six mille personnes. C’est en décembre 1999, grâce aux efforts d’hommes d’affaires et d’intellectuels lituaniens et belges, que la Fondation a été inaugurée.

Simon Davidovich, l’actif directeur de la Fondation Sugihara à Kaunas effectue, en plus de son travail, de nombreuses interventions pour enseigner la Shoah auprès des classes primaire et secondaire, toujours en compagnie de témoins. Cette Fondation est un lieu de mémoire : près de cinq cents élèves sont venus visiter les lieux en 2003 et de nombreux Japonais, 4.000 environ par an, viennent honorer la mémoire de leur compatriote. La Fondation est également un lieu de formation des enseignants (30 en 2003) sur l’enseignement de la Shoah.

Julija Menčiunienė, directrice du Fort IX à Kaunas, lieu où ont été exterminés la plupart des habitants juifs de la ville et de ses environs et les hommes du convoi 73[iii] - parti de Drancy le 15 mai 44 - a exprimé la nécessité de former des guides, en particulier pour ce qui concerne “La salle des Français” que, personnellement nous a t-elle confiée, elle appelle la “Salle du Souvenir”. Les visiteurs posent des questions et les guides sont bien souvent incapables d’y répondre.

C’est le général Adolph Urbšas de la 16ème division lituanienne, qui a demandé que le Fort IX devienne un musée; de cette manière, les jardins potagers établis dans son périmètre ont été supprimés

 Il est intéressant de lire dans un article de Balys Krasauskas, extrait du journal Tarybu Lietuva[iv], Lituanie soviétique, daté du 13 septembre 1944, il écrit : ... qu’il est allé voir ce Fort en compagnie d’un groupe de médecins soviétiques venus du front. A l’Ouest, j’ai vu un grand terrain où - avant la libération soviétique - on avait creusé des fosses pour ensevelir les fusillés. Le terrain a été aplani mais, malgré tout, il est facile de constater que ces lieux sont ceux des crimes commis par les Allemands. Là, en rangées d’une longueur de 20m croît une herbe dense, vert foncé, avec des pousses fragiles, qui se cassent au moindre vent. Par contre, entre les rangées, l’herbe est rare et souffreteuse. Sur les murs des casemates, j’ai trouvé un grand nombre d’inscriptions gravées au crayon dans le crépi des murs, à l’aide d’objets métalliques ... Et il cite des noms.Il continue et reproduit des témoignages de lituaniens, témoins directs des massacres et de leur déroulement avec la précision scientifique de leur préparation : Durant les premiers jours de l’invasion allemande, les intrus ont concentré ici, à peu près un millier de prisonniers de guerre soviétiques, qui creusaient des fosses dans un terrain de 5 hectares. 

De juillet à août 1944, ils ont creusé 14 fosses de 200m de long sur 3m de large et 2m de profondeur. Dès que les fosses ont été prêtes, l’extermination de masse a commencé. Des colonnes de quelques milliers d’êtres humains étaient amenées - femmes, hommes, adolescents, enfants, vieillards - que l’on fusillait ou brûlait. Les habitants des environs appelaient ce Fort, “Le Fort de la mort”. Il continue et écrit plus loin: “Voici quelques inscriptions d’étrangers relevées parmi une multitude de noms inscrits sur les murs des casemates du IXe Fort : Ullmann Karl départ de Drink 15.5.44 arrivé 18.5.44, Nahmias Charles - Où est ma famille ? - A. Steinberg de Paris 12.18.5.44 - Jules Herskovets d’Anvers 18.5.44 de Monaco via Drink-Paris - Wechsler Abraham de Limoges - Paris - Loeb Marcel Wendenheim - Hollander Simon - de Nice Hilaire Roro 18.5.44 - Nous sommes 900 Français - Grad Maurice, Nice 18.5.44 arrivée de 900".

Il poursuit : Près de l’endroit où l’on fusillait, sous les buissons, nous avons trouvé des bouteilles vides de Französischer Rotwein” (Vin rouge français).
Plus loin, il continue : Dès avril 1944, c’est dans la cour du Fort que l’on procéda à l’extermination, près du mur occidental. Dans la dépression du terrain, on prépara un bûcher et l’incinération continua. J’ai vu ici l’emplacement d’un bûcher de 7m de hauteur sur 6m de large, des tas de bois prêts à brûler et 5 tonneaux vides de 200 litres, qui avaient contenu du mazout. On peut encore trouver là, contre le mur, les deux perches couvertes de suie de 3m de longueur, qui servaient à tourner les corps des malheureux dans les bûchers. Des ossements humains, des restes d’objets métalliques, des portefeuilles et d’autres choses encore traînaient par terre... Un amoncellement de bouteilles vides d’eau de vie, témoigne encore de la bestialité des bourreaux envers les enfants et les femmes terrifiés.

Ces sortes de lieux d’extermination existent en grand nombre en Lithuanie.

Je remarque que dans ces extraits, comme dans l’intégralité de l’article - pas une seule fois - le mot « Juif » n’est employé.

Au cours de mes pérégrinations, j’ai pu aussi constater en visitant des lieux comme Švenčionys, au nord-est de Vilnius, que le musée de la ville commence à s’intéresser aux Juifs, qu’une vitrine leur est consacrée et que le cimetière est remarquablement entretenu. Point noir, les restes d’une svastika sur le monument commémoratif à l’entrée, que l’on a du mal à effacer. Des stèles ont été érigées sur la grande place, à l’emplacement du ghetto. A Telšiai, ville de moyenne importance, la grande rue a gardé toutes ses maisons juives. La synagogue existe, mais maintenant l’intérieur abrite un magasin de meubles. La boutique, où l’on procédait à l’abattage rituel, est devenue l’Office du tourisme où nous avons été fort bien accueillis. Quatre bornes délimitent le petit ghetto de 500 personnes sur les 14.000 de toute la région de Zamaïtie. En regardant l’église, je n’ai pu m’empêcher de penser à Moïché Rozenbaumas[v], qui chapardait les pommes dans le grand verger du séminaire catholique ou dans celui du pope russe.

En 2001, à Merkinė, petit village au bord du Niemen au Sud-est du pays, sur la place du village, j’avais visité un petit musée où un habitant avait réuni dans une vitrine des photos et des objets se rapportant aux Juifs et qu’il me montra fièrement.

 Le deuxième congrès Litvak

En août s’est tenu à Vilnius le Deuxième Congrès Mondial Litvak auquel ont assisté 150 personnes en provenance de 12 pays, deux français y assistaient. Ce congrès a été organisé conjointement avec l’ambassade d’Israël auprès des Pays baltes, l’Institut yiddish de Vilnius et le musée d’Art de Lituanie. On ne pouvait l’ignorer car les colonnes Morris - qui n’existaient pas lors du Premier congrès Mondial des Litvaks - annonçaient tous les événements en lituanien et en yiddish.

A la différence du Premier Congrès Mondial Litvak, il y a trois ans, un nombre important de Lituaniens non juifs ont pris part à tous les événements. Il était impossible de l’ignorer. Le programme cette année a été dominé par les arts : pictural, musical: jazz, classique, chants et des extraits de l’opéra La Juive de Halévy. Ces événements ont été l’occasion de nous faire découvrir les nombreux lieux culturels de Vilnius : la Philharmonie, le théâtre dramatique, l’ancien Hôtel de Ville[vi] ...

 Le congrès fut marqué par deux expositions de peinture. La première au musée d’Etat de Vilnius, présentait des œuvres de Raphael Chwolès, décédé à Paris en 2002, en présence de l’un de ses fils, Alexandre. Il a rappelé que son père était né à Vilna en 1913, où il avait entamé une brillante carrière, que la deuxième guerre mondiale avait malheureusement interrompue. Il en réchappa en fuyant vers Moscou. Les deux premières salles de l’exposition offraient au regard des tableaux peints dès son retour à Vilna, documents historiques précieux sur l’état de la ville juive que l’on aurait pu sauver, en particulier la grande synagogue. Ce qui est frappant dans l’art pictural de Chwolès est la maîtrise de son coup de pinceau, le calme qui en émane au constat de cet immense chaos, en opposition avec les sujets peints. Une telle simplicité dans la description m’a semblé correspondre à la modestie de l’homme. Là, réside la grandeur de l’artiste. Il avait 33 ans.

La seconde exposition se tenait dans la galerie de peinture de la communauté, où étaient exposées les œuvres de Solomon Teteilbaumas, bien connu des parisiens, qui ont eu la chance de le découvrir à Paris en novembre 2001, où il exposait pour la première fois. Sa palette s’est étonnamment éclaircie depuis trois ans. Sa vision du monde est moins tourmentée, elle semble plus sereine, sans avoir pour autant abandonné le sens du mouvement, inhérent à sa personnalité. Il a aujourd’hui 32 ans.

Une visite était réservée à l’école d’Etat lituanienne Chalom Aleichem à Vilnius qui accueille 225 enfants, dont un tiers de non juifs.
Depuis l’indépendance du pays des témoignages de la présence juive sous forme de plaques commémoratives ont été posées à Vilnius comme celles des petit et grand ghettos. On peut admirer aussi la sculpture du Gaon de Vilna sur l’emplacement de la grande synagogue dans la vieille ville et les plaques en l’honneur du sculpteur Antokolski et de Jasha Heifetz.

La Conférence de 1993                                   

Je pense au chemin parcouru depuis octobre 1993, date de la Conférence internationale pour commémorer le cinquantenaire de la liquidation du ghetto de Vilna (23 septembre 1943). C’était la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’une manifestation de ce type et de cette ampleur se déroulait en Lituanie. Je me souviens combien j’avais été frappée par le fait qu’aucune affiche n’annonçait l’évènement – pas même à l’extérieur du bâtiment où elle se tenait. En dehors des organisateurs, des participants, des anciens partisans et des déportés survivants, ajoutés aux happy few invités - Personne. Cet évènement était vraiment confidentiel. Un excès de modestie – non, de la prudence ; le sujet était délicat …

Deux thèmes avaient été traités, celui de six siècles de présence juive et celui de la responsabilité des Lituaniens dans le génocide juif. Certaines interventions avaient été houleuses, comme celle d’Ephraïm Zuroff[vii] portant sur La mémoire du meurtre et le meurtre de la mémoire, lorsqu’il avait minutieusement dressé la liste des actions antijuives commises par le Front des Activistes Lituaniens (LAF), ou par le 12e bataillon de la Police auxiliaire sous le commandement du Major Ananas Impulevičius; ou lorsqu’il a demandé l’autorisation d’ouvrir un Centre Simon Wiesenthal à Vilnius, pour enquêter sur les réhabilitations des criminels de guerre … (Ce Centre n’a toujours pas vu le jour). Des historiens lituaniens avaient alors violemment nié les faits. Parmi eux, L. Truska avait soutenu que les Lituaniens étaient un peuple de paysans et qu’il n’y avait jamais eu de pogroms dans le pays… tout en accusant tous les Juifs d’avoir appartenu au KGB. Plusieurs historiens avaient démontré que c’était faux, et depuis, L. Truska a reconnu avec d’autres collègues que, par méconnaissance des faits et par manque d’information, ils s’étaient trompés.

Nous avions vécu des moments difficiles et émouvants, en écoutant des rescapés comme Macha Rolnikaïté[viii] Alex Faitelson[ix], Fania Brancovskaja[x] et beaucoup d’autres. C’était la première fois que j’étais en contact direct avec des témoins issus des détachements de partisans, qui représentaient pour moi une des grandes épopées de l’Histoire.

 Conclure ?

Il paraît maintenant incontestable que la Lituanie a entrepris son travail de mémoire, comme d’ailleurs un certain nombre d’anciens pays de l’Est. La Lituanie fait désormais partie de l’Union européenne, ses habitants se tournent vers l’avenir. Ils sont désireux de retrouver leurs racines après cinquante ans de négation de leur identité. Souhaitons que cette recherche les amène à prendre en considération le destin tragique de leurs compatriotes juifs.

 





[i] Certaines scènes du film documentaire Nemt (Prenez) réalisé par Isabelle Rozenbaumas et Michel Grosman en 2002 en illustrent bien l’ambiance.
[ii] Visa pour six mille vies de Sugihara Yukiko, traduit du japonais par Karine Chesneau, ed. Piquier
[iii] Cf. Nous sommes 900 Français, ouvrage collectif de l’Association « Les Familles et Ammis des Déportés du Convoi 73 »
[iv] Traduction Žibuntas Mikšys, revu et mise en forme par Odile Suganas
[v] L’odyssée d’un voleur de pommes, La Cause des Livres, 2004. Cf. Diasporiques n°31, p. 44
[vi] Voir Diasporiques n°31, p. 51
[vii] Historien, chargé de la chaire de Holocaust studies from the Institute of Contemporary Jewry of the Hebrew University, Jérusalem. Premier directeur en 1978 du Centre Simon Wiesenthal à Los Angeles
[viii] M. Rolnikaïté, Le journal de Macha : de Vilnius au Stutthof 1941-1945, ed. Liana Levi, Prix Mémoire de la Shoah 2003, Fondation Jacob Buchman.
[ix] Faitelson Alex, Courage dans la tourmente en Lituanie 1941-1945 : mémoires du ghetto de Kovno, préface de Simone Veil, l’Harmattan, 2000
[x] Exposition au musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme de Deimantas Narkevičius dans laquelle une vidéo lui a été consacrée, Legend coming True, 3 mars-31 mai 2004.

Sunday, May 13, 2012

Voyages en Lettonie et en Estonie

Tribune Juive - Mai 1996


Découvrir Riga et Tallinn sous la neige est une grâce, tant leurs architectures sont mises en valeur. Riga, souvent appelée le «Petit Paris» est fascinante par ses constructions Art Nouveau.

Malgré une forte diminution de leurs populations, les communautés juives de Riga (Lettonie) et de Tallinn, (Estonie) sont actives. En 1970, il y avait trente-sept mille Juifs à Riga, ils sont aujourd’hui douze mille. Beaucoup ont émigré en Israël, aux Etats-Unis et en Allemagne. Néanmoins, les enfants et petits-enfants des Riganiens – est-ce ainsi qu’on les appelle ? – sont là parce que leurs parents ont fui vers l’Oural ou l’Asie centrale, dès le début de la guerre. Ils disent avec fierté qu’ils représentent la quatrième génération. Ils aiment leur ville et leur pays en étant bien conscients des problèmes quotidiens auxquels ils sont confrontés. Un des problèmes communs à ces deux communautés réside dans le fait que la plupart ne parlent pas la langue du pays car beaucoup viennent de Russie. Le chômage sévit, la vie est chère. Il leur faut beaucoup de patience et de volonté pour affronter chaque jour et ils y font face avec courage.

Lettonie: Riga

A Riga, au 6 de la rue Skolas, le bel immeuble a été restitué à la communauté juive et abrite, entre autres, un très beau théâtre qui date du début du siècle, où sont donnés toutes sortes de spectacles. C’est le Centre communautaire, où officient deux groupes de théâtre pour enfants que dirige Karmella Skoric, directrice artistique et qu’anime Edith Bloch. Déjà, le groupe de théâtre pour enfants a été invité à se produire au Danemark et en Allemagne pour jouer une pièce en yiddish de Cholem Aleichem; ils n’attendent qu’une invitation pour se produire à Paris, ce qui serait un bel encouragement et la preuve que l’on s’intéresse à eux. «Nous y resterions quatre à cinq jours et prendrions en charge notre voyage» me confie Edith Bloch. Au rez-de-chaussée, hall du théâtre, on a installé une librairie fort intéressante et une cafétéria, ce qui donne une animation agréable. 

De grands panneaux photographiques rappellent ce que fut avant-guerre le théâtre de Riga avec ses célèbres comédiens. Des clubs variés ont été créés: littérature, danse, chorale, conférences, jeux. C’est là, en 1991, que s’est tenu le premier festival d’art juif de tous les Etats baltes. A l’heure actuelle, un musée sur l’histoire des Juifs de Lettonie est en préparation et Marger Vesterman en est l’ordonnancier. C’est lui aussi qui a écrit l’intéressant petit guide[i] des juifs de Riga d’avant-guerre. Les relations avec les Lettons sont, me dit-on, bonnes, très bonnes: «Les gens ne savent pas quoi faire pour être agréables. Et puis il y a des échanges avec des groupes de danses folkloriques et des chorales». Dans la soirée, j’assiste à la répétition d’une chorale lettone et rencontre chez les participants une grande gentillesse, un désir de connaître et de faire connaître. La répétition me fait découvrir la beauté des voix baltes.

L’unique synagogue, construite en 1905, a survécu à la Deuxième guerre mondiale grâce à l’étroitesse des rues. Elle se trouve au cœur de la vieille ville, dans la rue Peteivas. C’est un bel édifice où encore aujourd’hui la table est mise la veille du Chabbath, offrant des mets traditionnels aux plus démunis. L’importante masse neigeuse ne me permet pas de me rendre au camp de concentration de Rumbula où cinquante mille Juifs furent exterminés. Je passe devant le village, mais continue néanmoins vers le camp de concentration de Salaspils, à vingt cinq kilomètres de Riga. Situé dans la forêt, je ne vois qu’un espace vide mais pesant où d’énormes statues, plantées comme un défi au ciel, sont ensevelies sur une bonne partie de leur hauteur. Elles sont gigantesques. A cause de la neige, je ne peux voir le gibet ni les baraques. L’entrée du camp est barrée par un énorme mur de pierre lisse, comme une rature. Salaspils a un cœur que l’on peut entendre, c’est un glas qui sonne sans relâche à la mémoire de ceux auxquels la vie fut ôtée, un glas qui retentit comme un goutte à goutte de leur sang. Le silence dans le silence.

Estonie: Tallinn

Il y a quatre mille Juifs en Estonie. C’est la première communauté qui, en 1989, a ouvert ses portes aux autres Juifs venus à l’époque de l’ex URSS. Tallinn, sa capitale, est forte de deux mille Juifs dont beaucoup sont issus de mariages mixtes. A cette époque de l’année, la vie semble sortie d’un conte de fée. Durant la dernière guerre, la communauté a été complètement anéantie, Hitler a réussi son entreprise de Judenrein. Comme pour la Lettonie et la Lituanie, ceux qui en réchappèrent furent ceux qui fuirent dès les premières heures de l’invasion vers l’Oural ou l’Asie centrale. La communauté partage avec Helsinki son grand rabbin, Mittai Alony, et tout se passe dans la bonne entente. Il vient une fois par mois à Tallinn. Cilia Laud, directrice du Centre communautaire, me fait visiter l’école, dirigé par Michaï Levinson. Elle est subventionnée par le gouvernement et accueille trois cent cinquante enfants. 

Aujourd’hui règne une effervescence inhabituelle: demain c’est l’inauguration de la nouvelle cantine, située au sous-sol de l’établissement. La télévision et la presse seront là. La cantine[ii] est magnifique – le bois y règne en maître – lumineuse avec un design dépouillé scandinave. Le jour J, tous sont présents, télévision, presse, officiels, vétérans et une des vice-présidentes, Mme Eugénia Gurin-Loov, auteur du livre[iii] sur les victimes de l’Holocauste en Estonie, qu’elle a écrit comme un ultime hommage aux disparus. Après les chants et les discours, commence une fête conviviale où l’on déguste les plats que chaque famille a cuisiné et l’on danse dans des horas endiablées.

Le lendemain je me rends à Klooga[iv] à quarante kilomètres de Tallinn, le vent souffle très fort. Nous avons du mal à trouver l’endroit. Enfin, la voie ferrée et de là, nous partons à pied dans la neige profonde pour effectuer ce kilomètre qu’eux firent dans d’autres circonstances. Une trouée dans les arbres: c’est là. De loin, j’aperçois au milieu du terrain défriché le monument érigé par le gouvernement estonien en 1994 à la mémoire de ceux qui y périrent. Je pense à eux. On ne parle pas suffisamment de ces communautés qui luttent pour sortir de l’ombre. Elles savent pourquoi elles luttent et c’est peut-être là le secret de leur réussite et de leur vitalité.



[i] En anglais, Fragments of the Jewish history of Riga, a brief guide book with a map for a walking tour. Published by the Museum and Documentation Centre of the Latvian Society of Jewish Culture, Riga, 1991.
[ii] Offerte par Mme Shona Weizmann (USA) et l’American Joint Development Committee.
[iii] Holocaust of Estonian Jews 1941, Tallinn 1994.
[iv] Camp de concentration.