Sunday, May 13, 2012

Voyages en Lettonie et en Estonie

Tribune Juive - Mai 1996


Découvrir Riga et Tallinn sous la neige est une grâce, tant leurs architectures sont mises en valeur. Riga, souvent appelée le «Petit Paris» est fascinante par ses constructions Art Nouveau.

Malgré une forte diminution de leurs populations, les communautés juives de Riga (Lettonie) et de Tallinn, (Estonie) sont actives. En 1970, il y avait trente-sept mille Juifs à Riga, ils sont aujourd’hui douze mille. Beaucoup ont émigré en Israël, aux Etats-Unis et en Allemagne. Néanmoins, les enfants et petits-enfants des Riganiens – est-ce ainsi qu’on les appelle ? – sont là parce que leurs parents ont fui vers l’Oural ou l’Asie centrale, dès le début de la guerre. Ils disent avec fierté qu’ils représentent la quatrième génération. Ils aiment leur ville et leur pays en étant bien conscients des problèmes quotidiens auxquels ils sont confrontés. Un des problèmes communs à ces deux communautés réside dans le fait que la plupart ne parlent pas la langue du pays car beaucoup viennent de Russie. Le chômage sévit, la vie est chère. Il leur faut beaucoup de patience et de volonté pour affronter chaque jour et ils y font face avec courage.

Lettonie: Riga

A Riga, au 6 de la rue Skolas, le bel immeuble a été restitué à la communauté juive et abrite, entre autres, un très beau théâtre qui date du début du siècle, où sont donnés toutes sortes de spectacles. C’est le Centre communautaire, où officient deux groupes de théâtre pour enfants que dirige Karmella Skoric, directrice artistique et qu’anime Edith Bloch. Déjà, le groupe de théâtre pour enfants a été invité à se produire au Danemark et en Allemagne pour jouer une pièce en yiddish de Cholem Aleichem; ils n’attendent qu’une invitation pour se produire à Paris, ce qui serait un bel encouragement et la preuve que l’on s’intéresse à eux. «Nous y resterions quatre à cinq jours et prendrions en charge notre voyage» me confie Edith Bloch. Au rez-de-chaussée, hall du théâtre, on a installé une librairie fort intéressante et une cafétéria, ce qui donne une animation agréable. 

De grands panneaux photographiques rappellent ce que fut avant-guerre le théâtre de Riga avec ses célèbres comédiens. Des clubs variés ont été créés: littérature, danse, chorale, conférences, jeux. C’est là, en 1991, que s’est tenu le premier festival d’art juif de tous les Etats baltes. A l’heure actuelle, un musée sur l’histoire des Juifs de Lettonie est en préparation et Marger Vesterman en est l’ordonnancier. C’est lui aussi qui a écrit l’intéressant petit guide[i] des juifs de Riga d’avant-guerre. Les relations avec les Lettons sont, me dit-on, bonnes, très bonnes: «Les gens ne savent pas quoi faire pour être agréables. Et puis il y a des échanges avec des groupes de danses folkloriques et des chorales». Dans la soirée, j’assiste à la répétition d’une chorale lettone et rencontre chez les participants une grande gentillesse, un désir de connaître et de faire connaître. La répétition me fait découvrir la beauté des voix baltes.

L’unique synagogue, construite en 1905, a survécu à la Deuxième guerre mondiale grâce à l’étroitesse des rues. Elle se trouve au cœur de la vieille ville, dans la rue Peteivas. C’est un bel édifice où encore aujourd’hui la table est mise la veille du Chabbath, offrant des mets traditionnels aux plus démunis. L’importante masse neigeuse ne me permet pas de me rendre au camp de concentration de Rumbula où cinquante mille Juifs furent exterminés. Je passe devant le village, mais continue néanmoins vers le camp de concentration de Salaspils, à vingt cinq kilomètres de Riga. Situé dans la forêt, je ne vois qu’un espace vide mais pesant où d’énormes statues, plantées comme un défi au ciel, sont ensevelies sur une bonne partie de leur hauteur. Elles sont gigantesques. A cause de la neige, je ne peux voir le gibet ni les baraques. L’entrée du camp est barrée par un énorme mur de pierre lisse, comme une rature. Salaspils a un cœur que l’on peut entendre, c’est un glas qui sonne sans relâche à la mémoire de ceux auxquels la vie fut ôtée, un glas qui retentit comme un goutte à goutte de leur sang. Le silence dans le silence.

Estonie: Tallinn

Il y a quatre mille Juifs en Estonie. C’est la première communauté qui, en 1989, a ouvert ses portes aux autres Juifs venus à l’époque de l’ex URSS. Tallinn, sa capitale, est forte de deux mille Juifs dont beaucoup sont issus de mariages mixtes. A cette époque de l’année, la vie semble sortie d’un conte de fée. Durant la dernière guerre, la communauté a été complètement anéantie, Hitler a réussi son entreprise de Judenrein. Comme pour la Lettonie et la Lituanie, ceux qui en réchappèrent furent ceux qui fuirent dès les premières heures de l’invasion vers l’Oural ou l’Asie centrale. La communauté partage avec Helsinki son grand rabbin, Mittai Alony, et tout se passe dans la bonne entente. Il vient une fois par mois à Tallinn. Cilia Laud, directrice du Centre communautaire, me fait visiter l’école, dirigé par Michaï Levinson. Elle est subventionnée par le gouvernement et accueille trois cent cinquante enfants. 

Aujourd’hui règne une effervescence inhabituelle: demain c’est l’inauguration de la nouvelle cantine, située au sous-sol de l’établissement. La télévision et la presse seront là. La cantine[ii] est magnifique – le bois y règne en maître – lumineuse avec un design dépouillé scandinave. Le jour J, tous sont présents, télévision, presse, officiels, vétérans et une des vice-présidentes, Mme Eugénia Gurin-Loov, auteur du livre[iii] sur les victimes de l’Holocauste en Estonie, qu’elle a écrit comme un ultime hommage aux disparus. Après les chants et les discours, commence une fête conviviale où l’on déguste les plats que chaque famille a cuisiné et l’on danse dans des horas endiablées.

Le lendemain je me rends à Klooga[iv] à quarante kilomètres de Tallinn, le vent souffle très fort. Nous avons du mal à trouver l’endroit. Enfin, la voie ferrée et de là, nous partons à pied dans la neige profonde pour effectuer ce kilomètre qu’eux firent dans d’autres circonstances. Une trouée dans les arbres: c’est là. De loin, j’aperçois au milieu du terrain défriché le monument érigé par le gouvernement estonien en 1994 à la mémoire de ceux qui y périrent. Je pense à eux. On ne parle pas suffisamment de ces communautés qui luttent pour sortir de l’ombre. Elles savent pourquoi elles luttent et c’est peut-être là le secret de leur réussite et de leur vitalité.



[i] En anglais, Fragments of the Jewish history of Riga, a brief guide book with a map for a walking tour. Published by the Museum and Documentation Centre of the Latvian Society of Jewish Culture, Riga, 1991.
[ii] Offerte par Mme Shona Weizmann (USA) et l’American Joint Development Committee.
[iii] Holocaust of Estonian Jews 1941, Tallinn 1994.
[iv] Camp de concentration.

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